Compagnie Cap Sur Scène

Compagnie Cap Sur Scène

PAUSE THÉÂTRE : LE PROJET

On peut penser que faire du théâtre nourrit le culte du moi, cultive en vain l’exhibitionnisme narcissique. C’est parfois le cas, effectivement. Toutefois, pour bien incarner un personnage, il faut apprendre à s’oublier soi-même. Or, ce processus de renoncement à son égo, à son moi narcissique et égoïste, par la médiation du personnage, pourrait bien permettre au comédien d’accéder à sa véritable personne. C’est en tout cas ce que pensait Louis Jouvet (1887-1951) :

                                  
É
coute, mon ami :
C’est à toi que je parle, comédien, mon frère.

Considère-toi dans ta vocation :
Elle n’est pas ce que tu crois.
Pour être comédien, il faut se montrer :
C’est d’abord un plaisir de vanité pure et de présomption téméraire.
Il dure (parfois) jusqu’à la mort.
Mais si un jour tu t’aperçois de cela, tu auras découvert l’important du métier ;
peut-être est-ce son but, sa fin essentielle.

Car tu comprendras, tu seras sur le chemin de comprendre,
que pour bien pratiquer ce métier l’important est dans :
le renoncement de soi
pour l’avancement de soi-même.
Tu comprendras que la niaise manie d’un « nom » et de ton « moi » encombrant te possède,
et que pour être personnel, il faut d’abord se dépersonnaliser.

 

Cette conviction est au cœur de ma pratique théâtrale. Elle me conduit à penser que le théâtre peut être à la fois un art, une voie d’accomplissement de soi-même et une thérapie, dont je voudrais faire bénéficier ceux qui ont peut-être le plus besoin de prendre conscience de la beauté de leur personne, par-delà les cicatrices de leur moi, de la grandeur de leur liberté, par-delà l’esclavage de leurs addictions, et de la qualité de leur vocation, par-delà la misère de leur vie présente.

Il s’agit des gens de la rue, souvent toxicomanes ou alcooliques, à qui je voudrais proposer un parcours théâtral les éveillant à leur personne et à leur vocation personnelle, peut-être entrevues lors de certains moments-clés qu’il s’agirait de revivre, de re-présenter, c’est-à-dire de rendre présents.

La compagnie théâtrale Cap sur Scène (https://www.capsurscene.fr/) que je dirige, mènerait ce projet en partenariat - s’ils le veulent bien - avec le TMLI (Thomas More pour le développement d’un Leadership Intégral) et le Secours Catholique des Hauts-de-Seine.

Le TMLI (https://www.tmli.org/) organise des cycles de formation au leadership intégral. J’ai suivi le premier, sur les fondements, et compte bien en suivre un deuxième, d’approfondissement. Certaines notions clés me sembleraient très utiles dans l’atelier d’expression théâtrale que j’aimerais mettre en place :

- le leadership comme capacité de susciter le meilleur chez l’autre en donnant le meilleur de soi-même ;

- le moment-ressource comme moment où l’on est accueilli inconditionnellement, dans son être profond, sa personne, et non son moi superficiel ;

- la vocation personnelle, à laquelle on ne peut accéder que si on libère en soi la personne.

Il s’agirait pour chacun des participants, dans un premier temps, de revivre un ou plusieurs moments-ressources (ou d’en imaginer), c’est-à-dire une rencontre où il a été comme révélé à lui-même, à sa personne profonde, où il a été aimé pour lui-même, où il s’est senti intégralement accueilli. Dans le duo à mettre en scène, il jouerait non pas son propre rôle (qui serait confié à un partenaire) mais le rôle de la personne qui l’a ainsi révélé à lui-même et peut-être (mais il pourrait s’agir d’une deuxième étape) à sa vocation personnelle.

Quant au deuxième partenariat, avec le Secours Catholique, il est lié à mon engagement récent à « la Pause », un lieu d’accueil à Antony. Il serait possible de réserver un créneau, dans la semaine, pour ces séances de développement personnel par le théâtre, et d’y faire venir certaines des personnes aidées, tout comme des aidantes, que je rencontre habituellement à la Pause le jeudi ou le samedi matin.

Au sujet de La Pause, on peut lire, sur https://saintsaturnin.org/la-pause-a-besoin-de-renforts/ :

« La Pause du Secours Catholique est un lieu d’accueil de jour à Antony pour des personnes qui souffrent de la solitude, sans domicile, et des bénévoles, qui se retrouvent pour un rendez-vous régulier autour d’un café, d’un petit déjeuner. Nous proposons aussi une douche et une machine à laver pour ceux qui en ont besoin.
La Pause est un lieu d’accueil inconditionnel dans lequel chacun a sa place, un lieu d’écoute et de fraternité. La Pause est ouverte les jeudi et samedi matin.
La Pause est un lieu pour faire ensemble, préparer un repas, jardiner, jouer à des jeux de société, sortir en forêt – Pas faire POUR mais faire AVEC. »

Il est intéressant de remarquer que les idées d’ « accueil inconditionnel » ou de « faire ensemble » correspondent bien à certaines des perspectives du TMLI, comme aux objectifs de l’atelier théâtre que j’imagine.

Voici le genre de petite saynète que « Pause Théâtre » pourrait mettre en scène. Elle s’inspire de l’un de mes « moments-ressources ».

VÉRONIQUE, 21 ans, se jetant dans les bras de Catherine, 31 ans. –  C’est horrible, horrible : j’ai de nouveau raté le concours. Je suis vraiment nulle, complètement nulle. Quelle tristesse ! Quelle honte !

CATHERINE. – Mais non, voyons, assieds-toi, prends un petit apéro pour te remonter, tiens !

 VÉRONIQUE, pleurant. – Mais te rends-tu compte, Catherine ? Toi, tu l’as eu à 18 ans ce maudit concours. Je me sens bête, tu ne peux pas savoir. Et incapable, et malheureuse. C’est trop dur, j’avais tant travaillé…

CATHERINE, timidement. – Tu sais, Véronique…

VÉRONIQUE. – Quoi ?

CATHERINE, avec beaucoup d’amour. –  Toi, tu es douée pour le bonheur.

VÉRONIQUE, un peu révoltée. – Pourquoi me dis-tu cela, alors que je suis si malheureuse ? Est-ce pour me faire comprendre que je ne suis pas douée pour les études ?

CATHERINE, très gentiment et doucement. – Non, ce n’est pas ce que je veux dire. D’ailleurs, je ne sais pas trop pourquoi je te dis cela, ça m’est venu comme ça. Et je te le dis à nouveau : toi, tu es douée pour le bonheur.

VÉRONIQUE, soudain consolée. – Merci, mon amie. Tu me montres ainsi combien tu m’aimes, inconditionnellement, indépendamment de mes réussites ou de mes échecs. Et tu me suggères que celle qui est douée pour le bonheur est plus véritablement et profondément moi que la jalouse qui se lamente petitement parce qu’elle a raté un concours que tu avais réussi.

 Véronique Maas, Bures-sur-Yvette, le 17 mars 2023